Perch : j'ai joué avec les oiseaux de mes adversaires (et c'était Génial)
- Renaud Fleusus
- 8 juin
- 5 min de lecture

Vous savez ce moment où vous découvrez un jeu qui bouleverse tout ce que vous pensiez savoir ? C'est exactement ce qui m'est arrivé avec Perch. Au premier regard, ça ressemble à un énième jeu de territoire avec des oiseaux mignons. Puis vous lisez cette phrase dans les règles : "Vous pouvez placer les oiseaux de vos adversaires." Et là, votre cerveau fait un petit bug.
Attendez, quoi ? Jouer avec les pions des autres ? Dans un jeu de contrôle de territoire ? C'est comme si on vous disait qu'aux échecs, vous pouvez déplacer les pièces de votre adversaire. Ça ne devrait pas marcher, et pourtant...
Première partie : quand tout se mélange
Ma première partie de Perch a été un chaos organisé. Imaginez-vous avec quatre oiseaux devant vous : deux de votre couleur et deux d'autres joueurs que vous avez pioché dans le sac. Vous regardez le plateau parsemé de petites cartes "lieux" et vous vous demandez bien où placer tout ce beau monde.
Le plus troublant ? Certains endroits donnent plus de points si vous finissez deuxième ou troisième plutôt que premier. C'est comme une course où l'argent vaut mieux que l'or. Votre instinct de joueur hurle "DOMINÉ PARTOUT !" mais les règles vous chuchotent "Pas si vite, mon ami."
J'ai commencé prudemment, plaçant mes propres oiseaux là où je pensais qu'ils seraient en sécurité. Grosse erreur. Mon adversaire a immédiatement empilé ses oiseaux sur les miens, me faisant passer en deuxième position... et tripler mes points sur cette zone. J'ai compris que j'étais face à quelque chose de spécial.
Le moment "Eurêka" : manipuler sans en avoir l'air
La beauté de Perch se révèle au moment où vous réalisez que placer un oiseau adverse n'est pas une corvée, c'est une arme. Vous voulez finir deuxième quelque part ? Empilez les oiseaux de vos adversaires pour qu'ils restent premiers. Vous voulez créer une égalité pour que personne ne marque de points ? Un petit oiseau bien placé et hop, tout le monde pleure.
C'est là que le jeu devient délicieusement pervers. Chaque placement devient un message. Quand Sarah place mon oiseau rouge à côté de la fontaine, est-ce qu'elle me fait une fleur ou est-ce qu'elle prépare un mauvais coup pour le tour suivant ? Impossible à dire, et c'est exactement ça qui rend le truc addictif.
Les créatures ajoutent encore une couche de malice. Ces petites bestioles peuvent pousser les oiseaux vers d'autres endroits ou les envoyer directement à la fontaine. Contrôler une créature, c'est avoir un joker dans sa manche, mais il faut d'abord dominer le bon territoire. Et devinez quoi ? Vos adversaires ne vont pas vous faciliter la tâche.
Quand ça coince : l'anarchie du plateau
Voici ce qui m'a vraiment dérangé avec Perch : l'impression constante d'avoir le tapis tiré sous les pieds. Imaginez que vous passiez cinq minutes à élaborer le plan parfait. Vous visualisez où placer vos oiseaux, vous anticipez les points, vous calculez les égalités... Et puis PAF ! Le joueur suivant place un de vos oiseaux exactement là où vous ne vouliez pas, démolissant toute votre stratégie d'un coup.
C'est exactement ce chaos organisé qui rend Perch si frustrant. Vous ne contrôlez jamais vraiment votre destin. Un coup brillant peut être anéanti par un adversaire qui place vos propres pions contre vous. Cette imprévisibilité constante transforme chaque partie en montagnes russes émotionnelles où l'anticipation devient presque impossible.
Le pire, c'est quand les autres joueurs se liguent contre vous. Pas de façon concertée, mais naturellement. Vous prenez la tête ? Hop, tout le monde place vos oiseaux dans des positions pourries. Vous visez une deuxième place juteuse ? Miracle, vos pions se retrouvent empilés en première position pour des points ridicules. Cette spirale de frustration peut transformer un joueur réfléchi en boule de nerfs.
Contrairement à un Wingspan où vos actions s'enchaînent logiquement, ou à un Azul où chaque tuile posée vous rapproche de votre objectif, Perch vous maintient dans une incertitude permanente. Vous planifiez, mais le plateau change sans arrêt. Vous adaptez, mais les autres sabotent. C'est épuisant mentalement et parfois décourageant émotionnellement.
Pour qui ? Savoir à quoi s'Attendre
Perch convient parfaitement aux joueurs qui adorent l'imprévisibilité et n'ont pas peur du chaos contrôlé. Si vous êtes du genre à apprécier quand un plan tombe à l'eau parce que ça ouvre de nouvelles possibilités, vous allez kiffer. Le jeu demande une adaptabilité constante et une capacité à rebondir après des coups tordus.
En revanche, fuyez si vous aimez maîtriser votre partie. Les joueurs qui préfèrent construire leur stratégie tranquillement vont vivre un calvaire. Perch peut créer des moments de tension où la frustration monte, surtout quand on se fait systématiquement contrer. C'est le genre de jeu qui peut virer au règlement de comptes si les joueurs sont susceptibles.
Les perfectionnistes et les control freaks risquent de détester l'expérience. Quand vous passez votre temps à voir vos plans détruits par les placements adverses, l'amertume peut vite s'installer. Les familles ou les groupes qui cherchent une ambiance détendue devraient plutôt opter pour quelque chose de moins... chaotique.
Le verdict du terrain
Ce qui marche vraiment bien : L'innovation du placement des pions adverses révolutionne l'area control. Fini le "moi contre vous", place au "nous contre nous-mêmes mais en plus compliqué". Les interactions psychologiques créent une tension délicieuse où chaque geste peut être interprété de mille façons.
La variété des lieux et des créatures assure une rejouabilité solide. Chaque partie propose un puzzle différent, et il faut plusieurs sessions pour saisir toutes les subtilités du système. Les règles de tie-breaker qui annulent les points ajoutent une dimension stratégique unique.
Ce qui coince un peu : Le thème des oiseaux reste purement décoratif. On aurait pu remplacer les volatiles par des robots ou des fromages, ça n'aurait rien changé au gameplay. Pour un jeu qui mise sur l'esthétique naturelle, c'est dommage.
La courbe d'apprentissage peut rebuter. Il faut vraiment s'accrocher pour dépasser les premières parties confuses. Et même après, le jeu demande un investissement mental constant qui peut fatiguer sur la durée.
Notes de terrain
Mécanique : 8/10 - Innovante et cohérente, mais parfois lourde à digérer
Interactions : 9/10 - Le placement des pions adverses crée une dynamique unique Matériel : 7/10 - Joli sans être exceptionnel, fonctionnel avant tout
Règles : 8/10 - Claires mais denses, avec quelques zones d'ombre
Plaisir : 7/10 - Stimulant intellectuellement, moins évident émotionnellement
Perch mérite clairement sa place dans une ludothèque d'amateur éclairé. C'est le genre de jeu qu'on ressort quand on veut se creuser les méninges entre connaisseurs. Pas forcément le plus fun de l'année, mais certainement l'un des plus malin dans sa catégorie.
Si vous aimez les mécaniques qui cassent les codes et que vous n'avez pas peur de transpirer du cerveau, foncez. Sinon, il y a plein d'autres oiseaux qui vous attendent dans d'autres volières.
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