Pergola : chronique d'un jardinier raté
- Renaud Fleusus

- 16 juil.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 7 sept.
L'appel du jardin virtuel
J'ai sorti Pergola de son emballage un dimanche pluvieux, avec l'espoir secret de réussir enfin quelque chose avec des plantes. Dans la vraie vie, voyez-vous, je suis ce qu'on peut poliment appeler un "serial killer végétal". Mon dernier cactus a rendu l'âme par arrosage insuffisant (réussir à tuer une plante du désert par négligence, c'est un talent), et ma tentative avec un pothos (pourtant réputé increvable) s'est soldée par un triste squelette brunâtre. Heureusement, mon compagnon, mon enfant et nos animaux se portent tous très bien - apparemment, ma malédiction ne s'applique qu'au règne végétal !. Alors quand j'ai vu ce jeu de Rebel Studio qui me promettait de créer le jardin parfait sans risquer de massacre botanique, je me suis dit : "Cette fois, c'est la bonne !"
Spoiler alert : même dans un jeu de société, je n'ai pas la main verte.

Pergola en bref : le kit du parfait jardinier virtuel
Fiche technique :
Durée : 60 minutes de choix de binette, de vols de papillons et d'éclosion de fleurs
Âge : 10 ans et plus (l'âge où on croit encore qu'on peut faire pousser quelque chose)
Nombre de joueurs : 1 à 4 apprentis jardiniers
Éditeur : Rebel Studio
Distributeur : Asmodee
Auteur : Michał Gołąb Gołębiowski, Przemek Wojtkowiak
Illustrateur : Karolina Kijak-Dzikońska
Le principe est simple sur le papier : on incarne des jardiniers qui cultivent des plantes pour attirer insectes. À chaque tour, on choisit un outil parmi quatre disponibles, on récupère les éléments correspondants, on les place dans notre jardin personnel, puis on exécute l'action spéciale de l'outil. Au bout de quinze tours, celui qui a accumulé le plus de points remporte la partie.
Ce qui pousse bien dans ce jardin
Un matériel qui en jette (littéralement)
Je dois reconnaître que visuellement, Pergola pourrait scotcher ma mère. Les illustrations de Karolina Kijak-Dzikońska, l'artiste derrière la série Meadow, sont dans ses goûts. Ces aquarelles délicates donnent envie de se promener dans un jardin anglais un matin de printemps. C'est kitsch juste ce qu'il faut, dans cette lignée "nature zen" qui ferait fondre autant la mamy de 50 ans collectionneuse de magazines Rustica que la bobo bio du quartier avec son tote bag en chanvre. Le matériel sent bon l'effort de production : tuiles épaisses, éléments en bois bien finis, tout respire la qualité.
Des règles claires comme l'eau de source
Côté règles, Rebel Studio a fait du bon travail. Pas de prise de tête inutile, tout s'explique naturellement. Les symboles sont intuitifs, les actions logiques, bref, on comprend rapidement comment faire pousser notre petit paradis vert. C'est fluide, accessible, du bon boulot de game design sur ce point.
Les mauvaises herbes du système
Le plateau des ressources : génial sur le papier, catastrophique dans la pratique
Ah, ce fameux plateau intégré pour stocker les ressources ! Sur le principe, c'est génial : un bac dédié pour ranger proprement tous les petits éléments. Dans la réalité, c'est mon cauchemar logistique personnel. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de couvercle ! Pas le moindre petit cache en plastique pour éviter que tout se barre dans la nature.
Résultat : dès que je transporte la boîte (et croyez-moi, mes jeux voyagent), c'est la fête du slip. Je range mes boîtes à l'horizontal comme quelqu'un de civilisé, mais imaginez un accro du vertical !, et là, c'est l'apocalypse assurée. À chaque ouverture, j'ai droit au jackpot version cauchemar : des petites ressources éparpillées partout dans le fond de la boîte. Il me faut cinq minutes rien que pour tout remettre en place avant de commencer à jouer. Frustrant au possible, surtout quand on sent qu'un bout de plastique aurait tout résolu.
Du matériel pour du matériel
Plus je joue à Pergola, plus j'ai cette sensation désagréable qu'on a fait du matériel juste pour en faire. Toute cette belle production en 3D, ces manipulations constantes d'objets... pour quoi au final ? Le jeu aurait parfaitement pu fonctionner en version "papier-crayon" : dessiner son jardin sur une feuille, cocher les ressources dans des cases, noter ses scores. Ça n'aurait pas été aussi photogénique pour Instagram, d'accord, mais qu'est-ce que ça aurait été plus pratique !
Cette obsession du matériel transforme chaque partie en séance de jonglerie. Constamment des petits trucs à déplacer, ranger, manipuler. J'ai l'impression d'être un chef cuisinier débordé un soir de coup de feu plutôt qu'un jardinier zen cultivant son lopin de terre.
Entre les rangs : une mécanique mitigée
La comparaison avec Meadow qui fait mal
Impossible de parler de Pergola sans évoquer Meadow, son grand frère spirituel dans la gamme Rebel. Autant le dire tout de suite : si je dois choisir entre les deux, je prends Meadow les yeux fermés. Pourquoi ? Meadow propose la même thématique nature contemplative, mais avec infiniment moins de manipulations d'objets. Là où Pergola me fait jongler avec mille éléments, Meadow me laisse me concentrer sur l'essentiel : la stratégie et l'immersion.
C'est comme comparer un jardin à la française ultra-entretenu avec une prairie sauvage. Les deux ont leur charme, mais quand on veut se détendre, on préfère généralement la simplicité de la prairie.

L'interaction fantôme
L'interaction entre joueurs dans Pergola, c'est un peu comme mes tentatives de jardinage : ça existe sur le papier, mais dans la pratique, c'est autre chose. On se contente de piocher dans les mêmes outils disponibles, sans vraiment pouvoir embêter les adversaires ou créer de la tension. C'est du multijoueur solitaire déguisé.
Avec tous ces éléments qui bougent constamment, impossible de suivre la progression des autres joueurs. On optimise son petit coin dans son coin, on fait sa "salade de points" personnelle, et au final, on découvre le vainqueur au moment du décompte. Pas très palpitant.
Le verdict du jardinier raté
Pergola n'est pas un mauvais jeu, loin de là. Sa thématique accessible pourrait séduire des néophytes que l'univers fantasy habituel rebute. Les visuels sont magnifiquement attrayants pour un certain public, les règles claires, et l'idée de base reste solide. Mais en tant que joueur ayant quelques heures de vol au compteur, je ne peux m'empêcher de voir tous les défauts qui grattent.
C'est un jeu qui privilégie l'apparence au gameplay, comme ces compositions florales Instagram parfaites qui demandent trois heures de mise en scène pour une photo de deux secondes. On sent le potentiel, mais il est étouffé sous trop de matériel et pas assez de profondeur mécanique.
Si vous cherchez une véritable expérience zen et contemplative, une immersion apaisante dans la nature sans les contraintes matérielles, tournez-vous plutôt vers Meadow. Si vous tenez absolument à Pergola, sachez que vous aurez un joli objet... mais préparez-vous à passer plus de temps à ranger qu'à cultiver.
Ma note : 6/10 - Comme mes plantes : joli au début, mais que j'oublie d'arroser.
Mon ressenti personnel : Un jeu qui me prouve une fois de plus que même virtuellement, je n'ai décidément pas la main verte. Au moins, cette fois, je n'ai tué aucune plante.














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