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Saltfjord : j'ai passé mes soirées à compter des poissons norvégiens (et j'ai adoré ça)

Dernière mise à jour : 20 juin

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Quand un jeu vous transforme en comptable du grand Nord sans que vous vous en rendiez compte

Laissez-moi vous raconter l'histoire de mes dernières semaines. Chaque soir, après le dîner, au lieu de scroller Netflix comme un zombie, je me retrouvais à calculer le nombre de planches nécessaires pour construire mon village de pêcheurs norvégiens. Mes proches me regardaient bizarrement quand je marmonnais "Il me faut absolument trois poissons pour upgrader mon bois" en me brossant les dents.

Comment en suis-je arrivé là ? Tout a commencé par une simple boîte bleue posée sur ma table : Saltfjord.

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L'Histoire d'une révélation ludique

Premier contact, première interrogation. Je vous l'avoue sans honte : j'ai d'abord pensé que j'avais affaire à un énième jeu de gestion européen habillé en folklore scandinave. Ce que j'ignorais alors, c'est que cette boîte cachait en réalité une renaissance. Car Saltfjord n'est autre que la réédition repensée de Santa Maria (2017), le jeu de Kristian Amundsen Østby et Eilif Svensson publié chez Aporta Games.

Le passage des colonies espagnoles d'Amérique du Sud aux fjords norvégiens n'est pas qu'un simple changement de décor. Là où Santa Maria nous proposait d'incarner des conquistadors et des évangélistes dans leurs expéditions vers l'ancien monde, Saltfjord nous transporte dans un univers moins lourd historiquement, évoquant la fin du 19ème siècle dans un village isolé du nord de la Norvège, où "le poisson est roi".

Mais comme l'ont souligné plusieurs critiques, cette histoire reste "si anecdotique qu'on aurait pu mettre n'importe quel décor" - un défaut que le jeu partage avec son prédécesseur colonial. Face à votre plateau quadrillé, vos dés colorés et vos cubes de ressources, vous réalisez rapidement que le thème "passe complètement à la trappe". Premier avertissement : si vous cherchez de l'immersion thématique, Saltfjord risque de vous laisser sur le quai, tout comme Santa Maria laissait ses joueurs sur les docks de Séville.

Mais parfois, la magie opère là où on ne l'attend pas.

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Le déclic : quand les maths deviennent addictives

Ma première partie a commencé comme une leçon de comptabilité appliquée. Le système hérité de Santa Maria reste intact dans ses fondements : prenez un dé, activez une ligne ou une colonne, récupérez des ressources, recommencez. "Passionnant", me suis-je dit en bâillant. Mon cerveau réclamait déjà son dose de dopamine Netflix.

Puis quelque chose d'étrange s'est produit vers le milieu de la partie. Ce dé blanc que je venais de poser a déclenché une cascade d'actions : production de bois, transformation en planche, construction d'un nouveau bâtiment, activation d'une technologie, gain de poissons... Soudain, mon plateau-village ressemblait à une machine bien huilée où chaque rouage entraînait le suivant.

Et là, j'ai compris. Saltfjord ne vous vend pas du rêve norvégien, pas plus que Santa Maria ne vous vendait du rêve colonial. Il vous offre quelque chose de plus précieux : l'ivresse de l'efficacité parfaite. Cette sensation unique où votre plan se déroule exactement comme prévu, où chaque décision produit exactement l'effet escompté.

C'est le même plaisir que de voir ses dominos tomber dans l'ordre parfait, ou de terminer un puzzle difficile. Sauf qu'ici, c'est vous qui construisez le puzzle à chaque partie.

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L'art secret de la transformation

Permettez-moi de vous expliquer pourquoi Saltfjord transforme des actions banales en moments magiques. Tout repose sur un principe simple mais diablement efficace, déjà présent dans Santa Maria mais ici peaufiné : la cascade d'actions.

Imaginez que vous êtes chef d'orchestre. Chaque dé que vous choisissez est comme lever votre baguette sur une section particulière de l'orchestre. Sauf que dans Saltfjord, cette section peut ensuite déclencher une autre section, qui en déclenche une troisième, créant une symphonie d'efficacité qui vous donne des frissons.

Prenons un exemple concret qui m'est arrivé hier soir. J'ai pris un dé orange de valeur 4, activant ma quatrième ligne. Premier bâtiment : je gagne deux poissons. Deuxième bâtiment : je peux échanger ces poissons contre une amélioration de ressource, transformant mon bois en planche. Troisième bâtiment : je peux construire un nouveau bâtiment avec cette planche. Quatrième bâtiment : ce nouveau bâtiment me permet de progresser sur une piste technologique.

En un seul coup, j'ai déclenché quatre actions différentes qui s'alimentent mutuellement. C'est exactement cette sensation qu'on recherche dans un bon eurogame : voir son moteur tourner à plein régime. Peter Bartels, l'illustrateur qui a donné vie à cette réédition, a su capturer visuellement cette mécanique d'engrenages parfaitement huilés.

Le génie caché des trois manches

Voici le coup de maître que j'ai mis du temps à saisir : Saltfjord ne dure que trois manches. Au début, ça semble ridiculement court. Comment construire quoi que ce soit de satisfaisant en si peu de temps ?

C'est exactement là que réside le génie du design, une amélioration notable par rapport à Santa Maria qui pouvait parfois s'éterniser. Cette contrainte temporelle transforme chaque décision en dilemme existentiel. Vous n'avez pas le luxe de tâtonner ou d'expérimenter. Chaque choix compte, chaque tour perdu vous coûte cher.

Cette pression constante crée une tension délicieuse qui maintient votre cerveau en éveil permanent. Contrairement à ces eurogames interminables où les derniers tours deviennent mécaniques, ici vous restez en apnée jusqu'à la fin. Votre cerveau carbure à fond, calculant constamment les pour et les contre, les priorités et les sacrifices.

C'est comme courir un 400 mètres au lieu d'un marathon : l'intensité reste maximale du début à la fin.

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La révélation du mode solo

J'avoue avoir découvert le mode solo par hasard, un soir où ma moitié préférait regarder sa série plutôt que de compter des poissons norvégiens avec moi. Quelle découverte !

Fini les IA compliquées qui ralentissent le jeu. À la place, un système d'objectifs personnels diaboliquement simple : vous devez marquer au moins 10 points dans deux domaines spécifiques pour gagner. Ces contraintes vous forcent à sortir de votre zone de confort et à explorer des stratégies que vous n'auriez jamais tentées en temps normal.

Le résultat ? Des parties solo de 30 minutes chrono qui se glissent parfaitement dans votre emploi du temps. C'est devenu mon rituel du soir, ma petite séance de musculation cérébrale avant de dormir. Trente minutes d'intense réflexion suivies d'une satisfaction profonde quand tout s'articule parfaitement.

Quand l'excellence technique rencontre ses limites

Mais soyons honnêtes : Saltfjord n'est pas parfait. Sa plus grande faiblesse ? Cette froideur mécanique qui peut rebuter - un trait qu'il partage avec son ancêtre Santa Maria.

Quand vous activez votre "action pêche", vous ne sentez pas les embruns sur votre visage. Vous calculez froidement si c'est rentable de continuer à avancer votre pion-bateau ou de rentrer au port pour optimiser vos points. Les fjords norvégiens deviennent des cases sur un plateau, les poissons des jetons de scoring, exactement comme les conquistadors de Santa Maria n'étaient que des pions sur un plateau colonial.

Cette déconnexion thématique peut frustrer les joueurs qui cherchent de l'évasion dans leurs soirées jeux. Si vous voulez vous évader mentalement vers les côtes nordiques, passez votre chemin. Saltfjord vous ramènera rapidement à la réalité des calculs d'optimisation.

L'interaction entre joueurs reste également très limitée. C'est du "chacun dans son coin" assumé, parfait pour les contemplatifs mais frustrant pour ceux qui aiment le challenge social et la confrontation directe.

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Pour qui sonne le glas norvégien ?

Saltfjord s'adresse à une population très spécifique : les amoureux de l'optimisation pure. Si vous êtes de ceux qui prennent du plaisir à résoudre des puzzles logiques, à planifier plusieurs coups à l'avance, à voir un plan se dérouler parfaitement, vous allez adorer.

En revanche, méfiance si vous faites partie de ces groupes :

  • Les familles avec enfants (trop dense cognitivevement)

  • Les joueurs occasionnels (courbe d'apprentissage exigeante)

  • Les amateurs d'interaction directe (on joue largement en solo)

  • Ceux qui cherchent de l'immersion thématique (le folklore norvégien est purement décoratif)

Le nombre de joueurs optimal ? Trois à quatre participants selon mon expérience. À deux, la compétition pour les dés manque de piquant. À quatre, les temps de réflexion peuvent s'éterniser si vous tombez sur des perfectionnistes (et Saltfjord attire les perfectionnistes comme un aimant).

L'art du détail qui change tout

Parlons de ces petites choses qui distinguent un bon jeu d'un excellent jeu. Saltfjord regorge de ces détails intelligents qui facilitent la vie sans qu'on s'en rende compte.

Le système de gestion des ressources, par exemple. Au lieu de jongler avec des piles de cubes qui s'éparpillent partout, vous utilisez des plateaux double-couche génialissimes. Vos cubes glissent simplement d'une case à l'autre pour se "transformer" : bois devient planche, planche devient or. C'est fluide, élégant, et ça évite le bazar permanent qui gâchait parfois les parties de Santa Maria.

Cette attention aux détails se retrouve partout : dés translucides et beaux, iconographie limpide, plateaux pratiques. Rien de spectaculaire, mais tout fonctionne. C'est du "design pour la fonction" dans ce qu'il a de meilleur, signe qu'Aporta Games a su tirer les leçons de l'expérience.

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Le phénomène d'addiction contrôlée

Laissez-moi vous confier quelque chose d'embarrassant : Saltfjord m'a rendu accro à l'optimisation. Pas de manière malsaine, mais avec cette satisfaction particulière qu'on ressent quand on maîtrise progressivement un système complexe.

Chaque partie me donne envie de rejouer pour "mieux faire". Pour optimiser cette séquence qui m'avait échappé, pour tester cette stratégie qui me trotte dans la tête depuis la partie précédente. C'est exactement le type d'addiction saine qu'on recherche dans un bon jeu : cette envie de progresser, de s'améliorer, de comprendre plus finement les rouages du système.

Les premières parties, vous avez l'impression de ne rien contrôler. Puis petit à petit, vous commencez à anticiper, à planifier, à voir les synergies émerger. Et quand enfin votre moteur tourne à plein régime, quand vos actions s'enchaînent dans un ballet parfait... C'est magique.

Mon verdict de chroniqueur converti

Après des dizaines de parties et autant de soirées passées à compter des poissons norvégiens, voici ma conclusion : Saltfjord est un petit chef-d'œuvre d'efficacité ludique et une réédition réussie.

Ce n'est pas un jeu révolutionnaire. Ce n'est pas un jeu qui vous fera rêver d'aventures épiques. Mais c'est un jeu qui fait exactement ce qu'il promet avec une maîtrise technique remarquable. C'est de l'euroludisme pur, assumé, sans fioritures mais parfaitement exécuté. Là où Santa Maria était parfois brouillon, Saltfjord épure et affine.

Ma note finale : 8.5/10

Les points forts qui m'ont conquis :

  • Une mécanique d'activation en cascade jouissive

  • Un mode solo brillant de simplicité

  • Une structure en trois manches qui maintient la tension

  • Une attention aux détails qui facilite tout

  • Cette satisfaction unique de voir son plan fonctionner

Les points faibles qui m'agacent :

  • Un thème complètement plaqué

  • Des interactions limitées entre joueurs

  • Une accessibilité réservée aux joueurs confirmés

L'appel du fjord

Alors, êtes-vous prêt à troquer vos soirées Netflix contre des sessions de comptabilité norvégienne ? Si l'idée de construire le moteur parfait vous fait briller les yeux, si vous aimez ces moments où tout s'articule harmonieusement, si vous cherchez un jeu qui respecte votre intelligence sans vous assommer de règles, alors Saltfjord vous attend.

Que vous ayez connu Santa Maria ou que vous découvriez ce système pour la première fois, cette réédition nordique saura vous séduire par sa précision mécanique. Østby et Svensson ont créé avec Saltfjord une version plus élégante et accessible de leur création originale.

Mais attention : une fois que vous aurez goûté au plaisir de l'optimisation parfaite, difficile de revenir en arrière. Vous risquez de vous retrouver comme moi, à rêver de planches norvégiennes en vous endormant.

Et franchement ? Il y a pire addiction dans la vie.

 
 
 

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