Couronne de Cendres : quand la nécromancie rencontre l'Euro-game
- Renaud Fleusus
- il y a 1 jour
- 5 min de lecture
J'ai découvert Couronne de Cendres lors d'une soirée jeu particulièrement pluvieuse où nous cherchions désespérément quelque chose qui nous sorte de notre lassitude dominicale. C’est à ce moment que j’ai sorti cette boîte à la couverture rose fluo (oui, rose fluo pour un jeu de nécromanciens, allez comprendre) en marmonnant quelque chose comme "on va voir ce que ça donne ! ". Franchement, entre le thème gothique et cette couverture qui claque, j'étais déjà curieux. Mais c'est seulement après avoir posé mes premiers ouvriers sur ce plateau que j'ai réalisé qu'on tenait quelque chose de vraiment malin entre les mains.

Durée : 60-120 minutes | Âge : 12+ | Joueurs : 1-4 (optimal à 4) | Éditeur : Card Noir Games | Distributeur : Pixie Games | Auteur : Richard Lawton | Illustrateurs : Vadim Mishin & Rafael Nobre
Réveil brutal après un siècle de sommeil
L'histoire, c'est du classique fantasy mais bien ficelé : nous incarnons des seigneurs morts-vivants qui se réveillent après un siècle de sommeil pour se disputer une couronne. Bon, niveau originalité narrative on a vu mieux, mais Richard Lawton (le créateur) a eu l'intelligence de ne pas se perdre dans les circonvolutions scénaristiques. Son vrai coup de génie, c'est d'avoir plaqué cette thématique gothique sur des mécaniques d'Euro-game parfaitement huilées.
Concrètement, pendant quatre manches de quatre tours chacune, nous allons poser nos ouvriers pour récupérer des ressources aux noms évocateurs (os, cendre, sang et soufre - la base de tout bon petit-déjeuner de nécromancien), construire des structures et recruter des mercenaires squelettiques pour partir en guerre. Le principe est d'une simplicité biblique, mais l'exécution révèle des subtilités diablement bien pensées.
La mécanique qui tue (au sens propre)
Ce qui m'a immédiatement séduit, c'est la fluidité du système. Contrairement à un Lords of Waterdeep et ses cinquante places d'ouvriers, ici tout tient sur un plateau central épuré. Quatre zones principales : récupération de ressources, construction, recrutement de mercenaires, et bien sûr la Citadelle centrale qu'il faut conquérir pour marquer un maximum de points.
La vraie trouvaille du jeu, c'est son système de combat. Quand j'attaque une zone adverse, je pose mes cartes mercenaires face visible, puis nous jouons chacun secrètement une carte de combat. Et là, c'est le génie pur : ces cartes ne servent pas qu'à ajouter de la force à votre attaque, elles donnent aussi des récompenses différentes selon que vous gagniez ou perdiez le combat. J'ai vécu des moments absolument délicieux où j'ai délibérément perdu un affrontement pour récupérer exactement les ressources dont j'avais besoin. L'expression de désarroi de mon adversaire quand il a réalisé qu'il venait de me rendre service restera gravée dans ma mémoire.
L'art de construire son petit empire de l'au-delà
Le système de construction mérite qu'on s'y attarde. Chaque structure que vous bâtissez vous rapporte des ressources spécifiques et des points de victoire. Mais le délicieux dilemme, c'est qu'on peut empiler les structures les unes sur les autres pour multiplier les gains. Seulement voilà, ça coûte cher et ça devient une cible de choix pour les adversaires.
J'ai passé une partie entière à construire une belle petite tour de trois étages qui me rapportait un pactole à chaque manche, en me disant que j'étais vraiment trop fort. Évidemment, mes trois camarades se sont ligués pour me la piquer au dernier tour. C'est ça aussi, Couronne de Cendres : un jeu où vos plus belles constructions deviennent vos plus grandes faiblesses.
Des combats qui ont du punch sans la lourdeur
Le système de combat évite brillamment l'écueil des jeux de contrôle territorial : la lourdeur. Tout se résout en quelques secondes, mais avec suffisamment de profondeur tactique pour qu'on ne s'ennuie jamais. Les cartes de combat ne se recyclent qu'une fois épuisées, ce qui ajoute une dimension de gestion de main particulièrement savoureuse.
Une mécanique que j'adore particulièrement : quand plusieurs mercenaires du même type attaquent ensemble, ils bénéficient de bonus (pair = +1, brelan = +2). Ça pousse à planifier ses assauts et à diversifier ses achats. Simple mais efficace.
La beauté dans la simplicité
Visuellement, le jeu me réconcilie avec l'idée qu'on peut faire du beau sans tomber dans la surproduction. Les illustrations de Vadim Mishin et Rafael Nobre trouvent le bon équilibre entre sombre et lisible. L'iconographie ne nous prend jamais en traître, et cette fameuse couverture rose fluo qui détonne complètement avec le thème finit par avoir sa propre logique esthétique.
Les plateaux joueurs sont même en double épaisseur, un petit luxe qu'on n'attendait pas forcément d'un premier jeu d'éditeur indépendant. Richard Lawton a visiblement mis le paquet sur la production, et ça se ressent.
Les petites ombres au tableau
Bon, soyons honnêtes, tout n'est pas parfait dans ce petit monde de morts-vivants. À deux ou trois joueurs, le jeu perd un peu de sa saveur. Les interactions sont moins tendues, les alliances tacites moins présentes. Le jeu inclut un deck IA pour compenser, mais ça ne remplace jamais l'imprévisibilité humaine.
Autre point qui me chiffonne légèrement : après plusieurs parties, j'ai l'impression que certaines stratégies deviennent un peu trop évidentes. La course à la Citadelle centrale tend à se scripter, et les premières manches manquent parfois de tension. Ce n'est pas rédhibitoire, mais ça pose la question de la rejouabilité à long terme.
Le jeu propose des capacités asymétriques optionnelles pour pimenter les parties, mais franchement, elles auraient mérité d'être intégrées dès la partie de base. Sans elles, on a parfois l'impression de tourner en rond.
Le mode solo : une agréable surprise
Je dois avouer que j'ai été agréablement surpris par le mode solo. Le système d'IA est simple à gérer et offre un vrai défi. Pour une fois, on n'a pas l'impression de jouer contre un automate prévisible. Le rythme reste bon, même si évidemment on perd tout l'aspect psychologique du multi.
Verdict : un premier essai plus que convaincant
Couronne de Cendres m'a rappelé pourquoi j'aime les jeux qui savent rester dans leur ligne. Pas de fioritures inutiles, pas de mécaniques gadget, juste un système solide qui fonctionne du premier au dernier tour. C'est un parfait jeu de transition pour les joueurs qui veulent quelque chose de plus corsé que les gateways classiques sans se lancer dans les pavés de 4 heures.
Richard Lawton et son équipe ont réussi leur pari : créer un Euro-game accessible qui assume totalement son thème gothique sans tomber dans la caricature. Certes, on n'est pas face au jeu de l'année, mais on tient là un très bon premier jet qui donne envie de voir ce que cette équipe sera capable de produire par la suite.
Si l'idée d'un "Lords of Waterdeep meets Kemet" vous fait de l'œil, foncez. Vous passerez un excellent moment, surtout à quatre joueurs autour de la table.
Note : 7,5/10
Points forts : Mécaniques fluides et bien intégrées, système de combat malin, production soignée, accessible sans être simpliste
Points faibles : Rejouabilité limitée, moins bon à moins de 4 joueurs, stratégies qui peuvent se scripter
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